Nous sommes le 10 prairial de l’an huit de la République, c’est à dire, comme vous le savez tous, le 30 mai 1800. Devant une usine à fer – un haut fourneau qui transformait le minerai de fer en fonte.
Il était ici même et avait été bâti en 1789, à l’embouchure de la Ranceuse par Pierre-François Bouchot, un maître de forges de L’Isle sur le Doubs. Bien sûr, ce fourneau, destiné à alimenter en fonte les forges de Bourguignon, appartenait au seigneur de Neuchâtel, en fait la duchesse de Lorges qui vivait au palais de Versailles. Et il y a 10 an, en 1789, éclata la Révolution…
– Le commissaire : Citoyen Bouchot !!! Citoyen Bouchot !!!
« séance du premier prairial an huit de la république une et indivisible à neuf heures du matin. Présents les citoyens Guillemet président, vu la pétition du citoyen Jean François Rochet acquéreur des forges de Bourguignon et du fourneau… tenante à sursis de payer à la République le prix de ces usines qu’il a acquises parce que le citoyen Bouchot se refuse à lui en céder la jouissance… »
« citoyen Bouchot !!! citoyen Bouchot !!! Ouvrez !! au nom de la loi !!
– Madame Bouchot : Oye Voi !!! qu’est ce qui s’ passe ici ? Qui c’est qui crie comme ça ?
– Le commissaire : Qui êtes vous ?
– Madame Bouchot : Et vous ? (le voyant mieux dans son habit d’apparat) oh ! (gênée et balbutiante) Bonjour citoyen Monnot… je suis la femme de… (elle montre l’usine)
– Le commissaire : Bonjour citoyenne Bouchot
– Madame Bouchot : Qu’est ce que vous lui voulez encore à mon homme ?
– Le commissaire : Je veux qu’il sorte !!
– Madame Bouchot : Pourquoi ?
– Le commissaire : J’ai quelque chose à lui dire….
– Madame Bouchot : Ça m’étonnerait qu’il sorte ! Il est là depuis ….
– Le commissaire : Trois jours !
– Madame Bouchot : ho ! bien plus ! depuis qu’on lui a dit de quitter son usine ! y a qu’à moi qu’il ouvre !!!
– Le commissaire : hum ! c’est donc bien vrai c’qu’on dit. Qu’il veut tout brûler ? (geste ample)
– Madame Bouchot : Ben ! il faut le comprendre !
– Le commissaire : Oui ! (soupir, puis martial) mais il y a la loi !!!
– Madame Bouchot : Quelle loi ?
– Le commissaire : Ben ! Citoyenne ! ce qu’a décrété l’administration centrale du département.
– Madame Bouchot : … du département ? A B’sançon ? Et elle a décrété quoi l’adminitrastion de B’sançon
– Le commissaire : qu’il doit sortir de là !
– Madame Bouchot : (péremptoire) Y veut pas !
– Le commissaire : (montrant le papier) c’est décrété. Je veux lui dire… Sinon, c’est les gendarmes…
– Madame Bouchot : Mais c’est pas un assassin, mon homme !
– Le commissaire : Je sais bien citoyenne ! j’ vous connais, j’le connais, mais c’est la loi ! c’est plus à lui, l’usine !
– Madame Bouchot : (martelant ses mots) C’était pas à lui !!
– Le commissaire : Non ! c’était à la ci devante duchesse de Lorges, la comtesse de Neuchâtel.
– Madame Bouchot: Oui, citoyen, mais c’est lui qui l’a bâtie c’t’usine ! en 1789. Avec ses sous….
– Le commissaire : Je sais citoyenne… Et la République l’a confisquée…
– Madame Bouchot : C’est lui qui l’a réparée quand il y a eu les crues l’autre hiver. ( un temps) Avec ses sous…
– Le commissaire : Je sais citoyenne …
– Madame Bouchot : C’est lui qui a fabriqué de la fonte pour les canons de l’armée du Rhin. Pour des assignats qui valent rien ! ….
– Le commissaire : Je sais, citoyenne…
– Madame Bouchot : …et du fer pour l’usine de Bourguignon. Qu’on lui a pas bien payé !
– Le commissaire : C’est vrai, citoyenne mais c’est la loi. La duchesse a fui à l’étranger, l’usine est devenue un bien de la République ..
– Madame Bouchot : Et la République l’a vendue au plus offrant. A Rochet avec les forges d’Audincourt et de Bourguignon.
– Le commissaire : Je sais tout ça.
– Madame Bouchot : Hélas, citoyen, mon mari ne pouvait pas suivre les enchères… On lui a pris son usine…
– Le commissaire : C’est la loi, citoyenne. Il doit comme dit le décret… Ah voilà « arrête que la force publique sera requise tant pour faire sortir le citoyen Bouchot des usines dont il s‘agit que pour faire jeter ses effets et approvisionnements sur le carreau . » C’est ce que je dois lui dire…
– Madame Bouchot : la force publique – les gendarmes, quoi… pour le faire sortir…. Y a plus d’espoir ?
– Le commissaire : Non, citoyenne. Allez lui dire, vous. Avant les gendarmes… J’attends.
– Madame Bouchot : Ouvre !!! c’est moi !! Sans lui, l’usine n’en a plus pour longtemps…